Histoire des assurances sociales suisses

Si l’on compare le modèle suisse de sécurité sociale en 2023 avec les systèmes des autres pays, il obtient de très bons résultats, ce qui n’a pas toujours été le cas d’un point de vue historique.

Jusque tard dans le XXe siècle, la Suisse a dû rattraper un retard considérable en matière de politique sociale, même dans des domaines importants comme l’assurance-accidents, l’assurance-maladie ou l’assurance-chômage. Le fameux principe des trois piliers de la prévoyance vieillesse, dont la Suisse peut aujourd’hui être très fière, est lui aussi une évolution relativement récente du point de vue historique, qui a dans un premier temps dû faire face à de nombreux écueils.

L’article qui suit vise à donner un aperçu de l’évolution et de l’historique des assurances sociales suisses, et à illustrer les raisons et les causes qui ont fait que la politique sociale suisse, auparavant à la traîne, est devenue en un siècle et demi une pionnière internationale sûre d’elle-même en matière sociale.

Introduction : le principe suisse des 3 piliers expliqué simplement

Le modèle des trois piliers est l’un des principaux axes du système d’assurance suisse et traite de l’important thème de la prévoyance vieillesse. Le principe de base des trois piliers consiste à répartir la prestation d’assurance entre trois sources ou « piliers » :

1er pilier : AVS & AI

L’AVS (pour « assurance vieillesse et survivants ») est une rente de vieillesse étatique dont l’objectif est de garantir les moyens de subsistance à l’âge de la retraite. Le 1er pilier comprend également l’AI (assurance-invalidité), qui intervient en cas d’incapacité de gain précoce, par exemple en raison d’un handicap ou d’une incapacité de travailler à la suite d’un accident. Ce pilier réglemente également le droit légal aux prestations complémentaires (PC) pour assurer le minimum vital ainsi que les versements dans le cadre de l’assurance-chômage (AC).

2e pilier : prévoyance professionnelle obligatoire et surobligatoire

Le 2e pilier ajoute aux prestations financières de prévoyance vieillesse de l’État celles des caisses de pension. Ce pilier est financé par des cotisations calculées en pourcentage du revenu, versées à parts égales par le salarié et l’employeur, et vise à combler l’écart de rente entre les prestations du 1er pilier et le revenu avant la retraite, de sorte que le niveau de vie habituel puisse être maintenu même après le départ à la retraite.

La loi impose une fourchette de salaire minimum dans laquelle les salariés doivent épargner dans le 2e pilier. Au-delà de la part obligatoire, des cotisations complémentaires facultatives peuvent être versées pour augmenter la rente finale issue du 2e pilier.

3e pilier : prévoyance privée

Outre les deux premiers piliers obligatoires, il existe en Suisse un troisième pilier facultatif, celui de la prévoyance privée. Ce pilier vise à offrir une protection et un confort supplémentaires à tous ceux qui cotisent à des organismes de prévoyance privés pendant l’exercice de leur activité professionnelle.

Le 3e pilier se subdivise en prévoyance liée (3a) et prévoyance libre (3b). Alors que le pilier 3a est soumis à certaines conditions, mais qu’il présente en contrepartie des avantages particuliers, notamment fiscaux, le pilier 3b offre davantage de flexibilité ainsi que des formes d’épargne privée, d’investissement et d’assurance personnalisables.

Dans certaines circonstances, le montant de prévoyance accumulé sur le 3e pilier peut être versé avant le versement de la rente vieillesse, par exemple pour financer l’accession à la propriété du logement, pour aider financièrement à démarrer une activité indépendante ou en cas d’émigration définitive vers un pays hors de l’UE/AELE.

Outre les nombreuses réglementations de la prévoyance vieillesse fondée sur les piliers, le système social suisse comprend aujourd’hui des assurances obligatoires ainsi que des prestations complémentaires réglementées par l’État, notamment :

  • assurance-accidents et assurance-maladie ;

  • assurance-chômage et allocations pour perte de gain (APG) ;

  • prestations complémentaires garanties par la loi ;

  • allocations familiales de l’État.

Examinons maintenant les circonstances historiques qui ont conduit au développement du système social suisse moderne.

La sécurité sociale en Suisse à l’aube du XXe siècle

Les assurances sociales suisses et la protection financière légale qu’elles garantissent sont à notre époque une évidence. Pourtant, jusque tard dans le XIXe siècle, la sécurité sociale reposait en grande partie sur la protection offerte par la famille et le soutien bénévole d’amis, de connaissances, de l’Église, ou encore des caisses de secours coopératives et syndicales.

Les mesures de politique sociale prises par l’État dans le cadre des lois sur l’aide sociale en vigueur à l’époque, financées en grande partie par des dons, ne s’appliquaient qu’à un nombre restreint de cas et les montants alloués restaient très faibles. Les premières réflexions sur la mise en place au niveau fédéral de contributions de soutien efficaces pour les personnes pauvres, âgées et malades ont émergé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

La période précédant le XXe siècle a été marquée par de grands bouleversements en Suisse. Sur le plan politique, le pays est devenu un État fédéral en 1848, ce qui a conduit pour la première fois à l’établissement du pays en tant qu’espace économique unifié.

Sur le plan social, l’impulsion a surtout été donnée par le développement industriel qui s’en est suivi. Des usines équipées de machines modernes, implantées principalement dans les centres économiques urbains, ont progressivement remplacé les métiers artisanaux traditionnels et entraîné un déplacement croissant de la population active de la campagne vers la ville.

Pour de nombreux travailleurs et travailleuses ainsi que pour leurs familles, cela a signifié devoir se détacher de leurs communautés villageoises depuis toujours solidaires et se débrouiller seuls dans les situations d’urgence. À cela s’est ajoutée une forte dépendance vis-à-vis des employeurs, qui décidaient souvent de qui pouvait disposer ou non d’un revenu, et parfois même d’un logement. La vague de pauvreté sans précédent qui en a résulté a touché de larges pans de la population.

Face à cette évolution démographique inquiétante, la « question sociale » fut abordée pour la première fois vers 1850. Si, jusque-là, la pauvreté était souvent considérée comme «étant de la faute des personnes concernées qui ne méritaient donc pas d’être aidées, c’est au plus tard avec le début de la crise économique de 1870 que s’est imposée l’idée d’un État représentant l’intérêt général et donc responsable de tous les citoyens. Les appels en faveur d’une vaste réforme sociale visant à protéger les personnes socialement défavorisées, en particulier celles exposées au risque de pauvreté du fait de leur âge, se sont donc fait de plus en plus insistants.

Les débuts de la sécurité sociale moderne

Le début de cette réforme sociale a été marqué en 1877 par la loi dite sur les fabriques qui, pour la première fois, intervenait dans la liberté contractuelle des employeurs suisses et fixait les premières dispositions légales en matière de protection du travail. Ainsi, le travail des enfants, par exemple, de même que le travail de nuit et le travail du dimanche étaient désormais interdits, une durée maximale journalière de travail de onze heures était imposée, et un premier pas était fait en direction de la protection de la maternité. De plus, les employeurs pouvaient être tenus responsables des accidents survenus au travail. À l’échelle internationale, la loi suisse fut saluée comme étant progressiste.

Cependant, c’est l’Empire allemand qui posa les bases du système moderne de sécurité sociale dans les années 1880, et plus précisément entre 1883 et 1889. Si le nouveau système d’assurance allemand, qui garantissait le droit à des prestations indépendamment des besoins individuels, a rapidement trouvé un écho en Suisse, plusieurs décennies ont dû encore s’écouler avant qu’il ne trouve un ancrage dans la loi.

Pour créer les conditions d’un tel système, la Suisse a dû adopter les bases constitutionnelles correspondantes. Dans un premier temps, une votation populaire en octobre 1890 attribua à la Confédération la compétence d’établir une assurance maladie et accidents obligatoire.

Les débuts du système social suisse (de 1900 à 1924)

La Lex Forrer et le début du régime obligatoire

En 1900, le contexte était favorable, et la compétence de légiférer a abouti au premier véritable projet de loi sur la nouvelle assurance maladie et accidents en Suisse – la Lex Forrer, du nom de Ludwig Forrer, qui s’était engagé avec passion pour l’introduction d’une assurance sociale en Suisse. Outre les versements en cas de maladie ou de décès et les prestations pour les femmes ayant accouché récemment, le projet prévoyait une rente d’invalidité et de survivants dans le cadre de l’assurance-accidents et de l’assurance militaire.

Mais malgré l’adhésion au projet de tous les partis et associations professionnelles, le vote échoua dans les urnes et fut rejeté par près de 70 % des électeurs. L’assurance militaire sera tout de même adoptée un an plus tard et entrera en vigueur dès l’année suivante, en 1902.

Le premier jalon dans l’histoire des assurances sociales suisses a ainsi été posé, avec l’instauration d’une assurance sociale obligatoire pour les militaires. Cette assurance les protégeait contre les accidents et les maladies, leur garantissait le cas échéant une rente d’invalidité ou le versement à leurs proches d’une allocation de décès ainsi qu’une rente de survivants.

Création de la Suva et de l’OFAS

C’est dix ans plus tard, en 1912, que fut franchie la prochaine étape importante vers la sécurité sociale moderne. Une assurance-accidents obligatoire fut alors introduite pour les travailleurs de l’industrie ainsi que pour certains autres secteurs professionnels.

Le projet de loi s’inspirait de la Lex Forrer rejetée en 1900 et prévoyait également l’instauration d’une assurance-accidents facultative pour tous ceux qui n’étaient pas couverts par l’assurance obligatoire et d’une assurance-maladie facultative pour tous ceux qui souhaitaient en bénéficier. À partir de 1918, la gestion de l’assurance accidents fut confiée à la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA/Suva), qui est aujourd’hui encore chargée de la prévention des accidents.

Avant même la Suva, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) avait été créé en 1913. L’OFAS était principalement responsable de la bonne exécution de la loi sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents, y compris la reconnaissance et le subventionnement des caisses-maladie, ainsi que de l’établissement de conventions de sécurité sociale avec l’étranger. Depuis la création de la Suva, l’OFAS a par ailleurs été responsable de sa surveillance.

Guerre mondiale, pandémie, grève générale et essor de la prévoyance privée

Après ces premiers succès, la Suisse a connu des années difficiles : la Première Guerre mondiale avait provoqué des pénuries de nourriture et de logement et, jusqu’à sa fin en 1918, environ un sixième de la population se trouvait dans le besoin. À la même époque, la grippe espagnole fit environ 25 000 victimes dans le pays. Malgré cette situation critique, aucune mesure ou presque ne fut prise au niveau fédéral, à l’exception de l’aide sociale aux chômeurs. Pendant cette période, les communes et les cantons intervinrent en organisant des soupes populaires, des distributions alimentaires et des cantines pour les ouvriers.

Cette situation sociale déplorable aboutit finalement à une grève nationale en novembre 1918. Celle-ci donna lieu à de nouveaux appels à des réformes, y compris, cette fois, la garantie de la sécurité alimentaire et l’introduction du droit de vote des femmes, ainsi qu’une assurance vieillesse et invalidité.

À partir de 1916, le secteur privé de la prévoyance connut lui aussi un essor. Suite à la décision d’exonérer de l’impôt de guerre les cotisations de prévoyance, le nombre de caisses de retraite passa d’une centaine en 1911 à plus d’un millier en 1930, soit un nombre multiplié par dix. Si, dans un premier temps, ce sont surtout les employés du secteur public qui en profitèrent, le nombre de caisses pour le secteur privé augmenta également rapidement.

En 1922, les partisans de la prévoyance privée finirent par se regrouper pour former l’Association suisse des caisses de secours et fondations pour la vieillesse et l’invalidité. Dans les années 1920, les assureurs-vie poursuivirent leur progression grâce à des contrats collectifs conclus avec des entreprises qui souhaitaient offrir des rentes à leurs employés même sans disposer de leur propre caisse de pension.

Création de l’AVS : la pierre angulaire du principe des trois piliers (de 1925 à 1947)

Suite à l’essor des caisses de prévoyance et de pension au début des années 1920, le premier jalon d’une assurance vieillesse et survivants obligatoire à l’échelle fédérale a finalement été posé en 1925. Le 6 décembre, les deux tiers des électeurs se prononcèrent en faveur de la base constitutionnelle qui permit l’introduction de l’AVS, puis de l’assurance-invalidité (AI).

Le soutien soudain à une telle assurance s’explique notamment par le fait que des concessions à la gauche étaient jugées urgentes après la grève de 1918. L’exclusion provisoire de l’AI du projet de l’époque selon Edmund Schulthess a été décidée à la suite d’inquiétudes concernant le financement de la loi par des prélèvements fiscaux directs.

Malgré cette mesure, le premier projet de loi – la Lex Schulthess, qui prévoyait notamment l’obligation d'assurance, une rente unifiée de 200 francs à partir de l’âge de 66 ans et des allocations en fonction des besoins – échoua dans les urnes en 1931 avec seulement 40 % de oui.

Comme en 1900, les principaux auteurs de ce rejet ont été les libéraux-conservateurs, unis pour protester contre l’étatisme tant redouté et des cotisations d’assurance excessives. En raison de l’échec de la Lex Schulthess, les mesures visant à prévenir ou à atténuer la pauvreté des personnes âgées sont restées provisoirement du ressort des collectivités locales et de l’aide sociale privée.

Deuxième assurance obligatoire suisse : le régime des allocations pour perte de salaire et de gain

Dès l’entre-deux-guerres, mais surtout en 1938, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, l’économie et le marché du travail suisses se sont tendus de plus en plus, et le chômage a considérablement augmenté. En 1924, une loi fédérale sur les cotisations aux caisses de chômage avait été adoptée, mais l’assurance restait facultative.

Jusqu’en 1936, le paiement des cotisations aux caisses de chômage était tout de même obligatoire dans la moitié des cantons suisses. Pourtant, seuls 28 % des actifs étaient assurés contre le chômage, et moins d’un cinquième des femmes.

Au cours de l’hiver de la même année, le taux de chômage grimpa à 7 %. Une fois de plus, les personnes âgées, les invalides et les femmes furent particulièrement touchés. La crise encouragea certes le nombre des affiliations aux caisses de chômage, mais aussi les dépenses de ces dernières. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les dépenses sociales de la Suisse passèrent de 4,7 % du produit intérieur brut en 1938 à 6,9 % en 1944.

Pour compenser la perte de gain subie pendant le service militaire au cours de la Seconde Guerre mondiale, une indemnité pour perte de gain fut introduite en 1939, puis élargie en 1940 au régime des allocations pour perte de salaire et de gain et incluant les indépendants. Aujourd’hui, cette indemnité fait partie des allocations pour perte de gain. Si elle compensait jusqu’à 90 % du revenu des soldats mariés, les célibataires recevaient des sommes bien inférieures.

L’objectif principal de ce régime était d’éviter les conflits sociaux, comme ceux qui avaient conduit à la grève générale à la fin de la Première Guerre mondiale, et de renforcer la solidarité nationale. C’est également le régime des allocations pour perte de salaire et de gain qui a servi en fin de compte de fondement à l’introduction définitive de l’AVS après la fin de la guerre.

Première prévoyance vieillesse étatique

En 1935, les États-Unis adoptèrent leur propre forme de sécurité sociale avec le Social Security Act (SSA). Celui-ci comprenait déjà, dans sa première version, une assurance vieillesse, puis en 1939, une assurance survivants et, en 1955, une assurance invalidité.

À l’instar de l’AVS, qui a finalement été introduite en Suisse et qui existe encore aujourd’hui, le SSA n’a eu aucune influence négative sur le secteur de la prévoyance privée, puisque les versements permettaient uniquement de couvrir les besoins fondamentaux des assurés.

À la fin de 1942, le modèle de protection sociale selon William Henry Beveridge connut un fort élan de popularité au Royaume-Uni : esquissant le modèle d’une assurance publique globale, il promettait de couvrir les cotisants « du berceau jusqu’à la tombe » et a conduit à l’expansion de la sécurité sociale britannique à partir de 1945, puis à la création du National Health Service en 1948.

Inspirée par ces deux systèmes, qui suscitaient beaucoup d’intérêt en Suisse, et fondée sur le régime des allocations pour perte de salaire et de gain déjà existant, l’AVS, l’assurance-vieillesse et survivants suisse, fut finalement adoptée en 1947.

Le projet, élaboré dès 1944 par une commission d’experts convoquée par le Conseil fédéral, tenait compte des revendications de l’Union syndicale et ancrait en outre la participation des associations économiques. Le projet AVS, adopté en référendum à une écrasante majorité de 80 %, prévoyait :

  • un âge de la retraite uniforme de 65 ans pour les hommes et les femmes ;

  • une petite rente de vieillesse à titre de garantie de base qui n’affecterait pas la prévoyance privée ;

  • une rente-pont transitoire en fonction des besoins pour les personnes ayant déjà dépassé l’âge de la retraite de 65 ans ;

  • une rente de vieillesse, de veuve et d’orphelin modulée en fonction des cotisations ;

  • le financement paritaire de l’AVS par les cotisations des salariés et des employeurs, de la Confédération et des cantons (notamment par les recettes des impôts sur l’alcool et le tabac).

Les rentes AVS ont été versées pour la première fois au début de 1948.

Développement progressif des prestations (de 1948 à 1984)

L’instauration de l’AVS au début de l’année 1948 a marqué le début d’une phase de plusieurs décennies d’intensification du développement du système social suisse et de ses assurances sociales obligatoires. Les principaux jalons ont été les suivants :

1960 : mise en place de l’assurance invalidité

1966 : mise en place de prestations complémentaires pour garantir les moyens d’existence

1977 : assurance-chômage obligatoire

1985 : introduction de la prévoyance professionnelle

En conséquence, le taux des charges sociales est passé de 10 % à 21 % entre 1950 et 1990, même s’il restait encore bas en comparaison internationale. Par ailleurs, le système social suisse comportait d’importantes lacunes.

Ainsi, l’assurance-maladie en Suisse est restée facultative, puisque le projet d’obligation généralisée d’assurance et l’introduction d’une assurance fédérale contre la tuberculose qu’il aurait dû accompagner connurent le même sort en 1949, c’est-à-dire un échec dans les urnes.

En outre, le boom économique de l’après-guerre a provoqué l’arrivée de travailleuses et travailleurs étrangers qui, bien qu’ils cofinançaient intégralement l’AVS, n’avaient pas de droit absolu à des prestations en cas de besoin.

Pour remédier à cette situation, des conventions de sécurité sociale furent conclues avec d’autres États à partir de 1949, afin de garantir par exemple le transfert des rentes AVS et AI à l’étranger et la protection des travailleuses et travailleurs étrangers en cas de maladie.

Normes internationales de sécurité sociale par la Convention 102

En 1952, la Suisse a adhéré à la Convention 102, dans le cadre de la 35e Conférence internationale du Travail de l’Organisation internationale du Travail (OIT) à Genève. Celle-ci définissait des normes minimales de sécurité sociale pour les États membres de l’OIT dans des domaines tels que la prévoyance invalidité et vieillesse, la protection de la maternité ou la garantie des soins médicaux.

Membre de l’OIT depuis 1929, la Suisse avait déjà pris dans le passé, dans le cadre d’une convention de l’OIT, des mesures contre la discrimination des travailleuses et travailleurs étrangers en matière d’assurance-accidents.

Au moment de la signature de la Convention 102, la Suisse était loin d’avoir rempli les conditions posées par celle-ci. Ce n’est qu’en 1977 qu’une grande partie de la Convention a été ratifiée, notamment à travers la création de l’AI et l’adaptation, en 1957, du modèle des rentes à l’essor économique et à l’inflation. Cette dernière réforme a fait directement bondir les rentes des Suisses, en leur faisant gagner d’un coup entre 60 à 70 % de plus.

Par ailleurs, des prestations complémentaires avaient été introduites en 1966 pour compenser les rentes inférieures au minimum vital. Ces compléments, conçus à l’origine comme une simple solution transitoire, ont finalement été maintenus et font depuis partie intégrante du système social suisse. Aujourd’hui, les prestations complémentaires couvrent par exemple les coûts des soins à la retraite, qui ne cessent d’augmenter.

Introduction de la prévoyance professionnelle obligatoire

En 1972, la prévoyance vieillesse suisse franchit une nouvelle étape importante, avec la décision d’introduire une prévoyance professionnelle obligatoire en complément de l’AVS et de la prévoyance privée.

Le 3 décembre 1972, les électeurs avaient le choix entre deux réformes possibles du système des retraites : d’une part, un renforcement de la rente AVS existante, qui aurait prévu une rente de l’État d’au moins 60 % du revenu, avec un minimum de 6000 francs par an ;

d’autre part, l’introduction d’une caisse de pension obligatoire, c’est-à-dire de la prévoyance professionnelle, telle que la constitue aujourd’hui le 2e pilier de la prévoyance vieillesse suisse. À une nette majorité des voix (75 %), le choix du peuple s’est porté sur cette dernière option. Concrètement, la loi n’a été mise en œuvre que plusieurs années plus tard, en 1985.

Assurance-chômage obligatoire suite à la récession des années 1970

Après trois décennies de boom économique, la Suisse est entrée dans une récession de deux ans, entre 1974 et 1975, en raison de l’effondrement du système monétaire de Bretton Woods et de la crise pétrolière de 1973. Les relations de travail de plus en plus précaires qui en ont résulté ont entraîné une augmentation constante des dépenses sociales, notamment aussi en matière d’assurance-invalidité, malgré la proportion encore faible de personnes assurées contre le chômage au sein de la population totale (en 1974, elles ne représentaient que 20 % de la population active).

En conséquence, les Suisses votèrent en 1976 sur une assurance-chômage obligatoire pour les salariés, le financement de l’assurance par des prélèvements sur les salaires et sa gestion décentralisée. La proposition a été acceptée et la loi y afférente adoptée en 1982. Jusque-là, il existait une solution transitoire entrée en vigueur quelques mois après le vote de 1972 et qui, avec 150 indemnités journalières, devait couvrir 70 à 80 % de la perte de salaire.

Avec l’entrée en vigueur de la loi de 1982, le nombre d’indemnités journalières a été porté à 180. Des indemnités supplémentaires en cas de chômage partiel, d’intempéries ou d’insolvabilité ont également été décidées, ainsi que des mesures d’insertion sur le marché du travail et de prévention de la fraude à l’assurance.

Indexation des rentes AVS

Afin de garantir le maintien d’un minimum vital dans le cadre de la prévoyance vieillesse de l’AVS, il était nécessaire d’adapter régulièrement les rentes AVS à l’évolution des salaires et des prix en Suisse. Jusqu’en 1972, cela s’est fait par le biais de décisions régulières prises par le Parlement, mais en 1973, le premier projet d’automatisation souple de cette adaptation a été mis au point dans le cadre de ce que l’on appelle la « dynamisation intégrale ».

Une dynamisation partielle a finalement été décidée et inscrite dans la loi en 1979, avec une indexation automatique tous les deux ans, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. L’indicateur mixte utilisé se compose de l’indice suisse des prix à la consommation et de l’indice suisse des salaires de l’ancien Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail, connu aujourd’hui sous le nom de SECO, le Secrétariat d’État à l’économie.

Mise en place définitive de l’assurance-accidents obligatoire

Après plusieurs tentatives d’introduction infructueuses au cours des décennies précédentes, l’assurance-accidents obligatoire est finalement adoptée en 1984. La nouvelle loi sur l’assurance-accidents prévoyait l’assurance obligatoire pour toutes les personnes exerçant une activité lucrative au moins douze heures par semaine.

Elle stipulait également que les assureurs privés et les caisses-maladie peuvent agir en tant qu’organismes d’assurance obligatoires pour autant qu’ils fournissent les mêmes prestations que la Suva. Cela a entraîné une baisse du nombre de personnes actives assurées auprès de la Suva et une réorientation de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents mettant l’accent sur la clientèle.

Naissance du principe suisse des trois piliers (1985)

Entre le vote sur le nouveau 2e pilier de la prévoyance vieillesse suisse et sa mise en œuvre effective, 13 ans se sont encore écoulés. Et c’est finalement en 1985 que le modèle suisse des trois piliers voit le jour, avec l’instauration de la nouvelle prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité.

Alors que le 1er pilier, l’AVS, devait permettre d’assurer le minimum vital et que la prévoyance privée, en tant que 3e pilier, devait garantir une protection et un confort supplémentaires à la retraite, la prévoyance professionnelle (LPP), ou 2e pilier, avait pour but de jeter un pont entre les deux et de maintenir le niveau de vie antérieur En clair, il s’agissait de combler les lacunes en matière de rentes de vieillesse.

Dans sa première version, la LPP prévoyait déjà un financement paritaire à la fois par le salarié et l’employeur. Les deux parties contribuent à hauteur de 50 % aux cotisations. Ces cotisations déterminent également le montant final de la rente, qui, contrairement à l’AVS, n’est pas automatiquement indexé à l’évolution des prix et des salaires.

Sont exemptés de l’obligation de s’assurer en vertu de la LPP les chômeurs, les travailleurs à temps partiel et les bas salaires.

Élimination d’autres lacunes sociales (de 1986 à aujourd’hui)

Le système de base des assurances sociales suisses n’a pratiquement pas changé depuis l’instauration du principe des trois piliers en 1985. Néanmoins, certaines lacunes importantes ont été comblées ou certaines réglementations en vigueur révisées depuis lors.

Introduction de l’assurance-maladie obligatoire

Après la première tentative d’introduction d’une assurance-maladie obligatoire en Suisse dans le cadre de la Lex Forrer, vers 1900, il faudra encore près d’un siècle avant que cette assurance-maladie soit réellement introduite dans la législation suisse.

Après plusieurs tentatives de réforme ayant échoué dans les urnes, la nouvelle loi sur l’assurance-maladie (LAMal) est finalement adoptée en 1994. Avec elle, l’assurance-maladie est devenue obligatoire pour la première fois en Suisse.

Par ailleurs, la possibilité de changer librement de caisse, ce que l’on appelle le libre passage, ainsi que des primes uniformes pour tous les sexes, ont été établies, les classes d’âge ont été supprimées et le catalogue des prestations des caisses-maladie a été élargi.

Accent sur l’activation

Au milieu des années 1990, le système social suisse s’est orienté pour la première fois vers l’idée d’« activation », c’est-à-dire la (ré)intégration des bénéficiaires de l’aide sociale sur le marché du travail, afin de contrer l’augmentation du chômage et de promouvoir l’autonomie financière de la population.

Dans le même temps, la loi sur le chômage a été révisée en 1995, et des nouvelles mesures ont été adoptées en faveur de la réinsertion sur le marché du travail, notamment la création d’offices régionaux de placement et le développement de cours de formation continue et de séminaires pour les chômeurs.

Ces mesures devraient permettre aux personnes handicapées, par exemple, de réintégrer le marché du travail afin de subvenir à leurs propres besoins financiers, plutôt que de dépendre de rentes d’invalidité.

Aide légale à la famille

Après l’échec de la troisième tentative de mise en place d’une assurance maternité en 1999, le projet a finalement abouti cinq ans plus tard, même s’il s’agissait d’une solution de compromis.

En septembre 2004, les électeurs ont voté en faveur d’une allocation de maternité dans le cadre du régime en vigueur d’allocations pour perte de gain, financée par des retenues salariales et garantissant aux mères qui travaillaient jusqu’à la naissance de leur enfant 80 % de leur dernier revenu pendant 14 semaines.

En 2006, la loi sur les allocations familiales fut également adoptée. Selon cette loi, tous les citoyens ayant des enfants, qu’ils travaillent ou non, ont droit aux allocations familiales jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de 16 ou 20 ans (dans le cas des enfants qui ne peuvent pas travailler pour des raisons de santé). Pour les enfants encore en formation, des allocations de formation supplémentaires de 250 francs par mois peuvent être perçues entre 15 et 25 ans.

Et maintenant ?

Au cours de ces 150 dernières années, la Suisse a fait des progrès considérables dans le domaine de la sécurité sociale. Grâce à l’introduction progressive d’une assurance obligatoire dans presque tous les domaines essentiels de la vie sociale, à la mise en place du principe des trois piliers en tant que régime de retraite efficace et à d’autres mesures de politique sociale prises par l’État, des problèmes autrefois très répandus tels que la pauvreté des personnes âgées, le manque de soins aux personnes démunies ou le risque de manquer du minimum vital pour les chômeurs appartiennent en grande partie au passé.

Pourtant, la Suisse est encore loin d’être un véritable État-providence. Dans de nombreux domaines, les assurances sociales suisses ont encore du retard à rattraper, et elles sont constamment confrontées à de nouveaux problèmes auxquels il faut trouver une solution.

De plus, les évolutions démographiques récentes, telles que le vieillissement de la population, la baisse du taux de fécondité ou de natalité, ou encore la baisse du taux de mortalité avant l’âge légal de la retraite, modifient la pyramide des âges, contribuant ainsi de manière significative aux problèmes actuels de sécurité sociale qui exigent des solutions innovantes.

Pour y parvenir, la population doit prendre conscience des conséquences de ces changements démographiques, et l’État, de son côté, doit proposer des solutions qui reflètent et prennent en compte les besoins et les préoccupations de l’ensemble de la population. Tant que cela ne sera pas le cas, les tentatives de résoudre des problèmes d’actualité, comme par exemple les réformes de l’assurance vieillesse, seront continuellement rejetées, comme cela a été le cas récemment lors du référendum contre la réforme de la LPP en 2020.

À court terme, les questions de politique sociale devront par exemple porter sur la date à partir de laquelle la rente de vieillesse doit réellement être perçue, le mode de calcul précis de la rente, de sorte que la rente moyenne de l’AVS puisse continuer à couvrir les besoins existentiels sans exposer les bénéficiaires au risque d’insolvabilité. Le mode de financement des rentes futures et le rôle que les assurances vieillesse privées joueront ou devront jouer à l’avenir compte tenu de l’évolution des structures d’âge devront également faire l’objet de réflexions.

L’histoire des assurances sociales suisses est loin d’être terminée.

Sources :